Cancer de la prostate et Zytiga* (acétate d’abiratérone)

Cancer de la prostate et Zytiga* (acétate d’abiratérone).

Ce nouvel antihormonal apporte-t-il un vrai PLUS ?

Le zytiga* est un agent d’hormonothérapie de plus qui inhibe la synthèse des hormones mâles et est ainsi susceptible d’être efficace sur les cancers hormonodépendants tels que le cancer de la prostate.

 

Première AMM américaine en 2011 : sur une seule étude pivot avec recul court

Il a reçu sa première AMM de la FDA le 28 avril 2011 pour les malades souffrant de cancers de la prostate métastatiques devenus résistants à l’hormonothérapie classique et à la chimiothérapie sur la foi des résultats de l’étude pivot COU-AA-301[1]. Cet essai randomisé, réalisé en double aveugle, porte sur 1195 patients et affirme (avec un délai médian de suivi de 12,8 mois) que Zytiga* augmente de 3,9 mois (14.8 vs 10 .9) la survie globale par rapport à l’absence de traitement, résultat réaffirmé un an plus tard lorsque le suivi moyen atteignait 20 mois[2].

La publicité trompeuse pour ce résultat a été sans limites : « Zytiga* double la survie »[3] ou « l’ajout de Zytiga* à l’hormonothérapie standard diminue de presque 40% le risque de mort »[4], alors que tous les malades métastatiques traités par Zytiga* meurent et que l’augmentation de 4 mois de la survie n’est rapportée que dans une seule étude, conçue, réalisée et analysée par des auteurs étroitement liés au laboratoire[5].

L’avis de la HAS de février 2012 est plus objectif : « ZYTIGA  apporte une amélioration du service médical rendu modérée (ASMR III) en termes d’efficacité et de tolérance dans la prise en charge du cancer métastatique de la prostate résistant à la castration et progressant pendant ou après un traitement par docétaxel. »

 

Extension de l’AMM

Pour élargir le marché au traitement de tous les malades atteints de cancers métastatiques devenus résistants à l’hormonothérapie classique, le laboratoire a demandé et obtenu de la FDA le 10 décembre 2012 une extension de l’AMM aux malades n’ayant pas reçu de chimiothérapie après la présentation de l’étude pivot COU-AA-302. Cet essai multicentrique, randomisé, a inclus 1088 malades pour comparer Zytiga* plus corticoïdes à un placebo plus corticoïdes avant toute chimiothérapie.

L’analyse intermédiaire[6] présentée aux autorités de régulation affirme que Zytiga* ralentit la progression tumorale radiographique, et biologique (taux de PSA), retarde le recours aux antalgiques majeurs et à la chimiothérapie et prolongerait la survie globale de 4 mois (34,7 mois vs 30.3) par rapport à l’absence de traitement actif [7]. Mais cette étude, dont tous les auteurs sont très liés au laboratoire[8], est la seule qui retrouve un tel bénéfice par le Zytiga*, alors d’autres auteurs rapportent une survie médiane ne dépassant pas 18 mois[9] , soit deux fois moindre que celle de l’étude pivot.

De plus, là encore si cet essai montre que Zitiga* est un peu efficace sur la tumeur et prolonge discrètement la survie par rapport aux corticoïdes seuls dans le groupe de malades soigneusement sélectionnés pour l’essai, il ne prouve pas qu’il apporte une amélioration significative pour les malades standard, compte tenu de sa toxicité.

 

L’avis de la HAS du 12 juin 2013 souligne la faible efficacité « ZYTIGA apporte une amélioration du service médical rendu mineure (niveau IV) en termes d’efficacité dans la prise en charge des patients atteints d’un cancer métastatique de la prostate résistant à la castration, asymptomatiques ou peu symptomatiques, après échec d’un traitement par suppression androgénique et pour lesquels une chimiothérapie n’est pas encore cliniquement indiquée. »

 

Le 14 aout 2014, l’institut anglais NICE émettait une recommandation de ne pas prescrire Zytiga* chez les malades atteints de cancer métastatique de la prostate, peu symptomatiques ou n’ayant pas préalablement été traités par chimiothérapie.

Ce qui n’a pas empêché le laboratoire de tenter d’élargir encore le marché en le proposant en préopératoire chez des malades souffrant de cancer non métastatique opérable pour « faciliter la chirurgie[10] » en dépit de l’absence de preuve de son utilité et du risque cardiaque avéré à court terme de cette approche thérapeutique[11].

 

Complications du Zitiga*

La toxicité à court terme du traitement par Zitiga* (et des corticoïdes obligatoirement associés) est maintenant bien connue : œdèmes périphériques (31% chez les patients traités par Zitiga*), hypokaliémie (17%), infection des voies urinaires (12%), hypertension artérielle (10%). Mais aussi atteinte hépatique avec élévation des transaminases (4% d’atteinte Grade III ou IV), insuffisance cardiaque[12] (2.1%), tachycardie ou fibrillation auriculaire, ostéoporose [1%]), certaines de ces complications peuvent être mortelles.

La toxicité à moyen terme commence à être décrite : diabète, cataracte, hémorragies gastrointestinales, insuffisance surrénalienne, fracture du col du fémur, ostéoporose touchent 1 à 2% des patients traités.

La toxicité au long cours, encore mal évaluée, contre indique la prescription de Zitiga* plus corticoïdes aux malades susceptibles de vivre longtemps. En effet l’expérience des traitements anti androgéniques de première génération a montré que les complications tardives de l’hormonothérapie peuvent se révéler plus dommageables que ses bénéfices à court terme, aboutissant au total à une perte de durée de vie. Et cette nocivité peut se révéler très tardivement : l’hormonothérapie utilisée depuis les années 40 [13] n’a vu son action délétère reconnue qu’après plusieurs dizaines d’années [14][15][16][17][18][19].

L’action plus ciblée de Zitiga* ne constitue pas un gage de sécurité. D’abord ne pas nuire, première règle éthique de tout médecin, doit inciter à ne pas prescrire un traitement dont la balance bénéfice-risque n’est pas connue avec certitude, ce qui est actuellement le cas du Zitiga* en situation adjuvante ou encore plus néoadjuvante.

Au total, si on se fie aux quelques données actuellement disponibles, on peut comprendre l’autorisation de mise sur le marché de Zytiga* pour les malades métastatiques symptomatiques résistants à la castration et à la chimiothérapie, bien que le bénéfice soit mineur.

Par contre l’autorisation pour des malades n’ayant pas reçu de chimiothérapie est très discutable et la brochure de l’agence européenne EMA présentant les résultats de Zytiga* aux malades[20] parait étonnamment semblable aux encarts publicitaires rédigés par le service communication de la firme mettant en avant le gain de stabilisation tumorale (16mois vs 8 ) sans préciser que la durée de survie globale est à peine améliorée.

Le prix de commercialisation de Zytiga* représente une anomalie supplémentaire. Comment a-t-on pu accepter de rembourser 3464 euros le mois un traitement qui n’apporte qu’une amélioration du service médical rendu mineure ?

 

[1] Johann S. de Bono Abiraterone and Increased Survival in Metastatic Prostate Cancer N Engl J Med. 2011 May 26; 364(21): 1995–2005

[2] K Fizazi Abiraterone acetate for treatment of metastatic castration-resistant prostate cancer: fi nal overall survival analysis of the COU-AA-301 randomised, double-blind, placebo-controlled phase 3 study www.thelancet.com/oncology Vol 13 October 2012

[3] Titre de « santé log » destiné aux professionnels de la santé.

[4] HEALTH NEWS JUNE 3, 2017 / 1:50 PM rapportant une soit disant dépêche Reuters

[5] Tous les auteurs de l’étude sont liés financièrement au laboratoire qui commercialise le Zytiga et cinq d’entre eux sont ou ont été ses employés !

[6] C J. Ryan Randomized Phase 3 Trial of Abiraterone Acetate in Men with Chemotherapy in Metastatic Castration-Resistant Prostate Cancer and No Prior Chemotherapy N Engl J Med. 2013 January 10; 368(2): 138–148

[7] Ryan C. et al. (2015) Abiraterone acetate plus prednisone versus placebo plus prednisone in chemotherapy-naive men with metastatic castration-resistant prostate cancer (COU-AA-302): final overall survival analysis of a randomised, double-blind, placebo-controlled phase 3 study. Lancet Oncol 16: 152–160.

[8] Là encore cinq des auteurs sont même des employés de Jansen..

[9] Darren M. C. Poon Abiraterone acetate in metastatic castration-resistant prostate cancer – the unanticipated real-world clinical experience BMC Urology (2016) 16:12

[10] Mary-Ellen Taplin Intense Androgen-Deprivation Therapy With Abiraterone Acetate Plus Leuprolide Acetate in Patients With Localized High-Risk Prostate Cancer: Results of a Randomized PhaseII Neoadjuvant Study J Clin Oncol 32:3705-3715. © 2014

[11] Nanda A Neoadjuvant hormonal therapy use and the risk of death in men with prostate cancer treated with brachytherapy who have no or at least a single risk factor for coronary artery disease. Eur Urol. 2014 Jan;65(1):177-85.

[12] Iacovelli R The incidence and relative risk of cardiovascular toxicity in patients treated with new hormonal agents for castration-resistant prostate cancer. Eur J Cancer. 2015 Sep;51(14):1970-7.

[13]Huggins C, Hodges CV. Studies on prostatic cancer. I. The effects of castration, of estrogen injection on serum phosphates in metastatic carcinoma of the prostate. Cancer Res 1941; 1: 293–297.

[14] Byar DP, Corle DK. Hormone therapy for prostate cancer: results of the Veterans Administration Cooperative Urological Research Group studies. NCI Monogr 1988; :165

[15] Byar DP. Proceedings: The Veterans Administration Cooperative Urological Research Group’s studies of cancer of the prostate. Cancer 1973; 32:1126..

[16] L Holmes. Effectiveness of androgen deprivation therapy in prolonging survival of older men treated for locoregional prostate cancer Prostate Cancer and Prostatic Diseases (2007) 10, 388–395

[17] Jesse Sammon PRIMARY ANDROGEN DEPRIVATION THERAPY INCREASES ALL CAUSE MORTALITY IN POPULATIONS MATCHED BY COMORBIDITY ADJUSTED LIFE EXPECTANCY AND DISEASE RISK J Clin Oncol 32:3705-3715. © 2014

[18] Wong YN, Freedland SJ, Egleston B, et al. The role of primary androgen deprivation therapy in localized prostate cancer. Eur Urol. 2009;56(4):609-16

[19] Lu Yao GL, Albertsen PC, Moore DF, et al. Survival following primary androgen deprivation therapy among men with localized prostate cancer. JAMA. 2008;300(2):173-81.

[20] Résumé EPAR à l’intention du public EMA/847230/2016 EMEA/H/C/002321