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Médicaments inutiles, toxiques et hors de prix – Exemple 11 : Le styvarga* -regorafenib- n’est pas utile dans le cancer du côlon et comporte des risques non négligeables

Le styvarga* -regorafenib- n’ est pas utile dans le cancer du côlon et comporte des risques non négligeables [1]

Par Gérard Delépine, chirurgien cancérologue, statisticien

L’histoire du styvarga* et du cancer du côlon montre la faible efficacité des agences du médicament pour n’autoriser que les médicaments utiles et celle du ministère de la santé dans les décisions de remboursement et de fixation des prix qui privilégient l’intérêt de l’industrie aux dépens de la sécurité des malades et des finances de notre système de santé.

Le styvarga* (rogaferid) est un inhibiteur des protéines kinases, susceptible de ralentir la croissance des cancers, en particulier du cancer du côlon. Il a bénéficié d’une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) aux Etats-Unis le 27 septembre 2012 et au Canada le 11 mars 2013 sur la foi de l’étude pivot CORRECT[2] . Cette étude affirmait (sur 760 patients suivis en moyenne 10 mois) que son administration augmentait de 6 jours la stabilisation tumorale et de 45 jours (6.4 vs 5 mois) la durée médiane de survie par rapport au placebo (aucun traitement actif). L’essai CONCUR[3] a confirmé le petit gain de survie pour les malades asiatiques souffrant de cancer colique métastatique.

Bénéfices – risques

Pour juger de l’utilité de stivarga*, pour les malades on ne doit pas considérer seulement sa faible efficacité, mais aussi la mettre en balance avec ses risques et inconvénients qui diminuent la qualité de vie.

 

Complications de la molécule

Les malades traités par styvarga* souffrent de fatigue (63 %), de syndrome main-pied (47%), d’anorexie (47 %), de diarrhée (43%), d’une perte de poids (32%), de dysphonie (32 %) , d’hypertension (30 %), de rash cutané ou de desquamation (29%), de mucite ou de stomatite (29%), de fièvre (28 % ), d’hyper bilirubinémie (20%), d’hémorragies (20%) et d’ infections (25%).

L’incidence globale des « événements indésirables » graves considérés comme liés au stivarga atteint 11,8% : qu’il s’agisse d’infarctus du myocarde[4], d’hépatite toxique parfois fatale, de perforation digestive[5], d’encéphalopathie par hyperammoniémie[6], d’encéphalopathie postérieure réversible.. Cette fréquence élevée d’effets secondaires indésirables, parfois même mortels fait pencher la balance bénéfices-risques, du côté des risques.

Daniel Goldstein[7] et ses co-auteurs de l’université d’Atlanta évaluent négativement le rapport efficacité prix du stivarga* et l’avis de la haute autorité de santé[8] française conclue : « STIVARGA* n’apporte pas d’amélioration du service médical rendu (ASMR V, inexistante) dans la prise en charge des patients atteints d’un cancer colorectal métastatique en échec ou ne relevant pas des traitements disponibles ».

La défaillance des agences de régulation FDA et EMA qui ont délivré l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament globalement inutile et toxique et qui n’ont pas su la remettre en cause est attristante. La mise sur le marché précipitée de drogues inovantes n’apporte trop souvent- comme avec cette drogue- aucun bénéfice réel pour les malades et les exposent à des toxicités mal connues et parfois létales.

Il est indispensable que les agences de régulation reviennent à la mission pour laquelle elles ont été créées : la protection des populations. Un médicament ne doit être mis sur le marché que s’il est utile (cliniquement efficace pour les malades) et non dangereux.

La responsabilité de nos décideurs politiques est considérable. En France, le ministère décide du remboursement éventuel et fixe les prix. Dans les négociations avec les firmes, le ministère dispose d’une arme absolue : la licence obligatoire prévue dans les accords de l’OMC : en cas de médicament considéré comme vital, tout gouvernement peut suspendre l’application du brevet pour permettre à sa population de bénéficier des traitements à un prix supportable.

Le coût d’un traitement par styvarga* atteint plus de 28000 euros par an et par patient. Le prix des médicaments innovants menace notre système de protection sociale, notre compétitivité industrielle (du fait des charges sociales qu’il contribue à augmenter), et la vitalité de notre économie par les prélèvements obligatoires supplémentaires des mutuelles santé et du RDS qui assèchent le pouvoir d’achat de la population. Depuis plus de dix ans, ils ruinent la sécurité sociale par une politique aberrante (ou complice ?) de prix. Incompétence ? Manque de courage politique ? Corruption ? Quelle qu’en soit la raison, cette politique du « tout pour big pharma », si on la poursuit entrainera à terme la disparition de la sécurité sociale. L’Angleterre s’est doté d’un organisme, le Nice, qui n’autorise le remboursement que si le rapport efficacité/prix est raisonnable. Quand choisira-t-on en France des décideurs capables de faire mieux pour notre pays ?

 

[1] Avis de la CT du 14 mai 2014 :

Pas d’avantage clinique démontré dans la prise en charge du cancer colorectal métastatique.

Intérêt clinique faible en cas de score de performance (ECOG) égal à 0 ou 1.

  • STIVARGA a l’AMM en monothérapie dans le traitement des patients adultes atteints d’un cancer colorectal métastatique qui ont été traités antérieurement ou qui ne sont pas éligibles aux traitements disponibles, notamment une chimiothérapie à base de fluoropyrimidine, un traitement par anti-VEGF et  un traitement par anti-EGFR.
  • Par rapport au placebo, il améliore faiblement la survie globale et s’accompagne d’une toxicité importante.

Amélioration du service médical rendu (ASMR)

V (absence) Compte tenu du profil de tolérance et de la faible quantité d’effet, la Commission considère que STIVARGA n’apporte pas d’amélioration du service médical rendu (ASMR V, inexistante) dans la prise en charge des patients atteints d’un cancer colorectal métastatique en échec ou ne relevant pas des traitements disponibles (chimiothérapie à base de fluoropyrimidine, traitement par anti-VEGF et traitement par anti-EGFR) et dont le score de performance est de 0 ou 1.

[2] R Grothey A : Regorafenib monotherapy for previously treated metastatic colorectal cancer : an international, multicenter, randomised, placebo-controlled, phase 3 trial. Lancet. 2013 Jan 26;381(9863):303-12.

[3] CONCUR Study Annals of Oncology, Volume 25 suppl 2 June 2014 (Ann Oncol 2014 Jun; 25 (Suppl 2): 1-117)

[4] Or Abdel-Rahman,,R isk of cardiovascular toxicities in patients with solid tumors treated with sunitinib, axitinib, cediranib or regorafenib: An updated systematic review and comparative meta-analysis Onco Hemat 2014

[5] G Ogata K astrointestinal perforation during regorafenib administration in a case with hepatic metastases of colon cancer. J Chemother. 2016 Jul 20:1-3.

[6] JHiroki Kitamoto Regorafenib-Induced Hyperammonemic Encephalopathy in Metastatic Colon Cancer Case Report ournal of ISSN: 2373-633XJCPCR Cancer Prevention & Current Research Volume 3 Issue 2 – 2015

[7] D A. Goldstein,Cost-Effectiveness Analysis of Regorafenib for Metastatic Colorectal Cancer J Clin Oncol 33:3727-3732. © 2015

[8] Avis du14 mai 2014