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Les dépistages des cancers sont-ils aussi utiles que l’on nous les présente ?

Rédaction : Dr Nicole et Gérard Delépine

Ne pas confondre prévention et dépistage !

Le dépistage recherche une maladie supposée pouvoir exister chez des personnes qui n’en présentent aucun signe. Le but allégué est de reconnaître et de traiter la maladie au stade le plus précoce possible, espérant ainsi augmenter le pourcentage de guérison de la maladie et l’espérance de vie des personnes dépistées. Hypothèse séduisante, voire intuitive mais non démontrée.

Comme les cancers représentent une cause majeure de mortalité et que leur traitement est souvent plus facile et plus efficace lorsqu’il s’adresse aux plus petites tumeurs, le dépistage parait, théoriquement, une méthode prometteuse pour diminuer la mortalité.

Un bon indice d’efficacité serait la diminution de l’incidence des tumeurs découvertes à un stade très avancé, mais bien d’autres facteurs peuvent être en cause comme la grande médicalisation des Français. Ainsi, l’efficacité et l’innocuité des dépistages restent à démontrer.

Les tests de dépistage ne sont pas toujours anodins.

Complications

L’examen endoscopique du colon peut être compliqué de perforation ou de nécrose colique. Les examens radiologiques (radio ou scanner qui utilisent des rayons x) ou scintigraphiques (qui injectent des particules ionisantes), répétés, exposent au cancer radio-induit (2 à 11/100000 mammographies, d’après l’US Preventive task force).

Erreurs

Les tests peuvent induire en erreur, qu’il s’agisse de faux négatifs (qui rassurent à tort en ignorant un cancer présent) ou de faux positifs (faisant craindre un cancer qui n’existe pas et incitant à des traitements inutiles). Le surdiagnostic est la découverte, par le dépistage, chez une personne qui ne souffre de rien, d’un cancer qui n’évolue pas et qui n’aurait jamais mis la vie de la personne en danger (qui serait décédée d’autre chose), mais qui incite au traitement (sur traitement). La notion de surdiagnostic est conceptuellement identique à celle de pseudo-cancer ou de faux positif. En effet, si tout gros cancer évolutif a été un jour petit, un petit cancer ne devient pas forcément grand. Certains petits cancers du sein détectés par mammographie peuvent même disparaître spontanément.

Quel que soit le test et les précautions prises, la découverte précoce d’un cancer n’augmente pas forcément, ni les chances de guérison du cancer, ni l’espérance de vie du « patient » non malade au sens propre. Les bénéfices éventuels du dépistage sur la mortalité spécifique (liée directement au cancer) sont contre balancés par les risques de surdiagnostics et les complications des surtraitements.

Étude du bénéfice-risque

Pour évaluer l’intérêt pour une personne bien portante de se soumettre au dépistage, on ne doit pas se baser sur le seul bénéfice éventuel (diminution de la mortalité du cancer dépisté par la comparaison des taux de survie spécifique avec et sans dépistage). Il faut mettre en balance les bénéfices et les complications du dépistage.

Ce bilan avantages/risques des dépistages peut être mesuré par la comparaison, lors d’un essai, prospectif et randomisé, des taux de survie toutes causes confondues (mortalité globale des personnes qui se soumettent au dépistage et des autres) qui représentent l’étalon or de tout dépistage.

Le bilan avantages/risques doit aussi tenir compte des complications fonctionnelles et des séquelles des surtraitements.

Finalement les dépistages des cancers sont-ils utiles ?

Rappelons que la seule justification d’un dépistage devrait être d’augmenter la durée de vie des sujets qui s’y prêtent (et non de calmer l’angoisse d’avoir un cancer). Celle-ci peut être mesurée par l’espérance de vie ou le taux de mortalité toutes causes confondues. Les apôtres du dépistage publient trop souvent uniquement le gain de survie spécifique sur la tumeur cible qui est un indice d’efficacité sur le cancer, mais qui oublie toutes les complications du dépistage et des traitements qui sont ensuite administrés.

Dépistages inutiles, voire nocifs

De nombreux dépistages ont fait la preuve de leur inutilité et parfois de leur nocivité et ont été abandonnés.

Le dépistage des neuroblastomes de la première enfance par le dosage urinaire des catécholamines a été incapable de diminuer la mortalité spécifique, ni la mortalité toutes causes confondues, et a entraîné un surdiagnostic massif et des surtraitements dommageables menant à son abandon par ses promoteurs japonais, canadiens ou allemands.

L’inutilité du dépistage du cancer broncho pulmonaire par radiographie annuelle ou scanner spiralé a motivé son abandon.

Et la thyroïde !

Le dépistage des petits cancers thyroïdiens par l’imagerie médicale moderne constitue une catastrophe sanitaire méconnue, avec une explosion des cas diagnostiqués (incidence multipliée par 7 chez les femmes et 8 chez les hommes) avec plus de 46000 surdiagnostics en France entre 1988 et 2007, presque toujours suivis de surtraitements agressifs.

Au niveau mondial, d‘après l’Agence Internationale sur le Cancer, il y aurait eu près de 500000 femmes sur traitées par des ablations complètes de la thyroïde, souvent associées à l’ablation des ganglions du cou et/ou la radiothérapie, sans bénéfices en termes d’amélioration de survie et mais source dans tous les cas d’inconfort et de séquelles.

 

 

From Surveillance, Epidemiology, and End Results (SEER 9), 1975 to 2009

Le dépistage du cancer de la prostate, grand désastre de santé publique !

Le dépistage du cancer de prostate par le dosage des PSA a été qualité par J. Ablin, inventeur de ce marqueur biologique de « grand désastre de santé publique ».

L’essai américain PLSO ne retrouve aucun bénéfice, ni de survie spécifique, ni de survie toutes causes confondues et beaucoup de complications chez les sujets surtraités. Dans l’essai européen, la diminution de la mortalité spécifique est faible et ne s’accompagne d’aucune amélioration, ni de l’espérance de vie toutes causes confondues, ni de la qualité de vie.

La biopsie prostatique est suivie de complications augmentant la mortalité précoce et la révélation du diagnostic expose à un risque accru de suicide et d’attaques cardiaques.

Ce dépistage, lorsqu’il est positif, transforme un homme sain en cancéreux hanté par le sentiment de sa mort prochaine et qui, s’il s’est fait traiter, est trop souvent impuissant, incontinent et/ou douloureux. Globalement, lorsqu’on se fait dépister, on ne vit pas plus vieux, mais la vie, moins agréable, paraît plus longue. Le dépistage par PSA est pour cela déconseillé par toutes les agences sanitaires du monde entier (dont la HAS et l’agence américaine).

Le dépistage du cancer du sein, pourvoyeur de trop de malheurs inutiles, d’angoisses et de dépenses somptuaires.

Le dépistage par la mammographie se révèle incapable de diminuer l’incidence des formes avancées du cancer du sein, les seules à haut risque !

Schéma tiré de l’article de Bleyer « Effect of Three Decades of Screening Mammography on Breast-Cancer Incidence Archie Bleyer N Engl J Med 2012;367:1998-2005 »

Son efficacité sur la mortalité spécifique est au mieux faible et parfois apparaît nulle. Son efficacité sur la mortalité toutes causes confondues est nulle, lorsqu’elle est rapportée.

En France, le dépistage organisé du cancer du sein a débuté il y a 24 ans et a été généralisé en 2004. Curieusement, à ce jour, malgré le recul important, l’importance des dépenses engagées, le nombre de participantes et l’abondance de la bureaucratie de soutien, aucune étude française sérieuse sur l’efficacité réelle de ce dépistage sur la survie spécifique et sur la survie toutes causes confondues n’a été publiée.

Les membres du comité et experts auditionnés lors de la concertation citoyenne récente ont noté l’absence de données sur l’efficacité du dépistage organisé en France : pas d’essai clinique, pas d’étude observationnelle, malgré l’existence de cohortes et de la base de données sur les prescriptions et hospitalisations de l’assurance maladie. Le rapport bénéfices – risques de ce dépistage français n’a donc jamais été évalué. La propagande officielle souligne qu’un taux important de cancers de petite taille (30 %) et de cancers sans envahissement ganglionnaire (69 %) sont détectés grâce au dépistage. Mais cela plaide plutôt pour un taux élevé de surdiagnostics.

Des études suèdoise, danoise et australienne ont conclu que la réduction de la mortalité par cancer n’est pas liée au dépistage, mais plus probablement à l’amélioration des traitements.

La dernière actualisation de l’étude prospective randomisée canadienne, portant sur 89835 femmes suivies 25 ans, confirme que le dépistage n’apporte aucun bénéfice de mortalité spécifique et une aggravation (non significative) de mortalité toutes causes confondues chez les femmes qui le subissent, tandis que le surdiagnostic entraîne de lourdes séquelles.

Etude canadienne. Survie toute cause confondue observée avec et sans dépistage

La dernière synthèse officielle des études comparatives sur l’efficacité du dépistage par mammographie sur la mortalité spécifique émanant du réseau Cochrane conclue : « pour 2 000 femmes invitées à participer à un dépistage au cours d’une période de 10 ans, un décès par cancer du sein sera évité et 10 femmes en bonne santé qui n’auraient pas été diagnostiquées si elles n’avaient pas participé au dépistage seront traitées inutilement. En outre, plus de 200 femmes se trouveront dans une situation de détresse psychologique, d’anxiété et d’incertitude importantes pendant des années en raison de résultats faussement positifs.».

Selon la conclusion de N. M. Hadler: «la mammographie inflige aux femmes dépistées un excédent de procédures chirurgicales, et de traitements adjuvants sans utilité démontrable ».

L’organisme de prévention US vient de rappeler qu’il ne faut pas pratiquer de dépistage mammographique en dessous de 50 ans, car avant cet âge, il est clairement délétère.

Le « medical swiss board » a conseillé en 2014 de ne plus lancer de programmes de dépistage organisé, et de limiter dans le temps les programmes de dépistage en cours.

En France, la toute récente concertation citoyenne et scientifique sur le dépistage du cancer du sein a reconnu l’absence de preuves d’efficacité du dépistage organisé sur la survie toutes causes confondues enlevant toute justification médicale à une dépense publique globale de 1,5 milliard d’euros par an. Mais elle ne préconise que la suppression du dépistage avant 50 ans et la « prise en considération de la controverse dans l’information fournie aux femmes et dans l’information et la formation des professionnels »…

Schéma extrait de ‘Abolishing Mammography Screening Programs? A View from the Swiss Medical Board n engl j med 2014 370;21’

Le dépistage du cancer du colon

réduit la mortalité spécifique de cette tumeur d’environ 15%, mais n’a pas, jusqu’ici, démontré qu’il pouvait diminuer la mortalité toutes causes confondues.

La coloscopie présente des risques, mais la résection des polypes constitue une véritable prévention de certains cancers et est parfois créditée au moins partiellement de la diminution de l’incidence des cancers colo-rectaux constatée dans de nombreux pays dans lesquels la coloscopie est pratiquée.

De nouveaux essais randomisés sont nécessaires, conçus pour rechercher un gain éventuel de survie toutes causes confondues, qui seule pourrait, le cas échéant, valider ce dépistage.

Le seul dépistage efficace : les frottis cervicaux dans le dépistage de petites lésions précancéreuses pour le cancer du col utérin.

En attendant, un seul dépistage de cancer a fait la preuve de son efficacité, sans d’ailleurs, recevoir ni la notoriété, ni tout le soutien institutionnel qu’il mérite : c’est le dépistage du cancer du col utérin par frottis. En France ce dépistage a permis de diminuer la mortalité de ce cancer de plus de 80%, sans entrainer de séquelles notables.

En conclusion :

Le chemin de l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. La guerre contre le cancer justifie trop souvent une propagande simpliste, trompeuse, qui nuit d’abord à la santé des citoyens, aux finances des systèmes de santé et ultérieurement à la crédibilité de l’état. Dépister plus pour soigner plus !

Le conflit d’intérêts est caricatural : Le surdiagnostic et ses victimes profitent directement aux dépisteurs, à de nombreux médecins, radiologues, chirurgiens, anatomopathologistes, cancérologues, agences de communication, associations de malades sponsorisées, et surtout à l’industrie du médicament et à ses complices médecins, experts et décideurs politiques. Ce n’est pas par hasard si Octobre rose est né de la volonté du laboratoire Astra-Zeneca…

Rédaction : Dr Nicole et Gérard Delépine

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