essais cliniques : valeur du critère « survie sans progression » ?
La durée de survie sans progression , jadis appelée stabilisation tumorale, constitue-t-elle un critère de substitution fiable de la survie globale dans les essais de thérapies ciblées de tumeurs solides?
- Delépine N. Delépine, S Alkhallaf
Résumé
Ce travail a pour but d’évaluer.si un gain de survie sans progression (SSP) observée lors de l’essai d’une thérapie ciblée est prédictive d’un gain de survie globale et de l’utilité clinique.
Une recherche informatisée a permis de répertorier 110 essais randomisés de 12 thérapies ciblées pour 5 tumeurs solides (les plus fréquentes). Ont ensuite été sélectionnés ceux qui remplissaient les critères suivant : gain significatif de survie sans progression et résultats à long terme publiés précisant la survie globale et la toxicité (51 essais). La mise en évidence d’un gain de survie sans progression a été ensuite comparée au résultat de survie globale, à la toxicité et à la qualité de vie des malades.
Seulement 10 des 51 essais rapportant une augmentation significative de survie sans progression ont abouti à un gain de survie globale et seulement 12 à une amélioration de la qualité de vie des malades traités
Lors d’essais de thérapies ciblées en cancérologie de tumeurs solides, une augmentation de durée de survie sans progression ne préjuge ni d’un gain de durée de survie globale ni d’une balance avantages/risques favorable. Privilégier ce critère pour décerner L’AMM expose les malades à des risques importants le plus souvent sans bénéfice réel.
Introduction.
L’étalon or pour juger l’utilité clinique d’un médicament anticancéreux reste la survie globale (SG) Ce critère est objectif, facile à recueillir et à contrôler et correspond à la demande principale des malades Mais il nécessite un grand nombre de malades suivis longtemps et, lorsque le traitement ne permet pas de guérir le malade mais seulement de prolonger sa survie, son évaluation peut être perturbée par les traitements pris après la fin de l’essai, ou par des décès liés ni à la maladie ni aux traitements (si l’analyse statistique n’a pas prévu de les exclure).
Pour bénéficier au plus tôt et le plus longtemps possible de l’exclusivité que procurent les brevets, les entreprises du médicament proposent des critères substitutifs (survie sans progression, taux de réponse objective, amélioration fonctionnelle), que l’on peut obtenir plus rapidement et à moindre cout ce qui leur permet de mieux valoriser leurs produits
Dans les années 1970 la Food and Drugs Administration a approuvé de nombreux médicaments sur le « taux de réponse objective ». Puis dans les années 1980, elle a décidé que la délivrance de l’AMM pouvait reposer sur un bénéfice clinique sans même qu’il soit obligatoirement lié à la réponse tumorale[i] alors même que l’on connait la grande variabilité inter patient et inter examinateur de ces évaluations subjectives. Ainsi entre décembre1992 et juillet 2010, la FDA a accordé 35 AMM en oncologie selon des procédures accélérée[ii] basée sur des critères substitutifs sans jusqu’ici tenter de vérifier leur pertinence.
La durée de survie sans progression (SSP), jadis appelée stabilisation tumorale, constitue actuellement le premier critère de jugement dans la majorité des essais des thérapies ciblées. Lorsqu’elle est évaluée selon des règles précises[iii] et en particulier les critères RECIST[iv], elle est supposée prédictive de la survie globale (SG) et de l’utilité clinique future pour les malades[v]. Ce travail a pour but de le vérifier.
Méthode.
Recueil des données.
Une recherche informatisée systématique a été réalisée sur Medline et Google pour identifier les essais randomisés de phase 3 et les macroanalyses portant sur une des thérapies ciblées suivantes : avastin, herceptin, erbitux, erlotinib, sorafenib, gefitinib, crizotinib, afatinib, temsirolimus, pazopanib, sunitinib, axitinib,(qui regroupent environ 70% des prescriptions) dans le traitement des cancers pulmonaires non à petites cellules, du rein, du colon, du sein et ORL chez l’homme( soit environ 50% des cancers non hématologiques). La lecture des résumés obtenus a permis de répertorier les articles décrivant les essais randomisés dont au moins un bras comportait une des thérapies ciblées étudiée comme traitement d’un des cancers de l’étude. Leur lecture complète et la prise en compte de leurs références bibliographiques a permis d’élargir la recherche des données. Outre les descriptions des essais et de leurs résultats par les investigateurs nous avons utilisé les macro analyses sur les drogues étudiées, les rapports des principales agences de régulation telles que la Food and Drug Administration (FDA), l’agence européenne du médicament European Medication Administration (EMA). Le NICE institute, la Haute Autorité de Santé (HAS) et les compte rendus de congrès de société savante tels que ceux de l’American Association for Clinical Oncology (ASCO), l’European Society for Medical Oncology (ESMO), de la société européenne d’urologie et les articles étudiant la toxicité des drogues. Nous n’avons pas recherché les essais non publiés auprès des laboratoires pharmaceutiques ou des institutions concernés, des meneurs d’opinion ou des investigateurs potentiels car nous voulions n’utiliser que des données publiques et craignions les biais liés aux conflits d’intérêts de ces sources. Tous les essais répertoriés ont ensuite été examinés pour sélectionner ceux qui satisfaisaient les critères de cette étude
Critères de sélection. N’ont été retenus que les essais prospectifs randomisés de phase 3, de méthodologie satisfaisante, portant sur au moins 100 malades, souffrant d’un des cancers précités, vus au stade métastatique et soumis à un traitement comportant une des thérapies ciblées étudiées, Pour être inclus dans l’étude un gain significatif (p<0.05) de Survie Sans Progression (SPP) devait être constaté et, la survie globale et la toxicité détaillées à moyen terme (habituellement lors d’articles ultérieurs, lors de l’actualisation des résultats ou des études post hoc).
Pour limiter le risque de biais dans les essais sélectionnés nous avons utilisé les recommandations de la fondation Cochrane[vi] et veillé à ce que les essais retenus prévoient le tirage au sort et l’administration aveugle du traitement, l’évaluation de la réponse à l’aveugle et une description complète des résultats sans sélection à postériori.
Analyse statistiques.
Depuis les travaux de Buyse[vii] les macroanalyses qui abordent la relation entre survie globale et la survie sans progression utilisent des tests statistiques privilégiant les données numériques sur les données qualitatives. Cette approche scientifiquement justifiée ne nous parait pas cliniquement pertinente car souvent ce qui compte dans une vie ne se compte pas. En effet peu importe aux malades que la durée de gain de SSP soit statistiquement corrélée à la durée de gain de survie globale. Cette corrélation n’a d’intérêt pour le malade que si un gain de SSP est garant d’un gain pertinent de survie globale et d’une balance avantages/risques favorable justifiant une AMM
Pour satisfaire à l’usage nous avons cependant utilisé le coefficient de corrélation entre les variables quantitatives mais nous avons privilégié in fine la pertinence clinique, la balance avantage risque d’après l’évolution de la survie, la qualité de vie, la fréquence et la gravité des complications selon une approche proche de celle de la commission de la transparence de la HAS.
Résultats.
La recherche bibliographique a permis de retrouver 11954 références, de lire 2531 résumés puis 353 articles détaillant 110 essais randomisés susceptibles d’apporter des données pertinentes Seuls 51 essais portant sur 25495 malades remplissent les critères de sélection et constituent la base de données de cette étude Les raisons principales du rejet des essais publiées ont été: l’absence de gain significatif de SSP, le choix de la survie globale (SG) ou du taux de réponse comme premier critère de l’essai, le caractère incomplet des données publiées (même en s’aidant des résultats des études post hoc).un risque de biais trop important. Le recueil des données utiles concernant les 51 essais retenus a souvent nécessité de compléter l’article princeps par des publications ultérieures nécessitant au total l’analyse de 158 articles et rapports.
La moyenne du gain de survie sans progression obtenu par le bras expérimental sur le bras témoin de ces 51 essais est de 24 jours. Mais seulement 10 d’entre eux (20%) ont rapporté également un gain significatif de survie globale et 12 (24%) une amélioration de la qualité de vie immédiatement ou lors d’une actualisation ultérieure.
Le coefficient de corrélation entre le gain de ssp et de sg est positif (c=3,18 pour 50 degré de liberté p=0,03). Mais cette corrélation relativement faible entre données numériques ne doit pas faire oublier les données cliniques qualitatives pertinentes : moins d’une molécule sur cinq (10/51) qui obtient une AMM sur un gain de SSP parvient à prolonger la SG et moins d’une sur six (8/51) à améliorer à la fois la survie globale et la qualité de vie. Qu’ils s’agissent d’inhibiteurs de tyrosine kinase ou d’anti angiogenèse un gain significatif de SSP ne préjuge donc pas d’une augmentation significative de survie globale ni d’une balance bénéfice/risques favorable.
Discussion
Notre étude souffre de plusieurs limites ; d’une part elle n’est pas exhaustive ; elle ne porte pas sur tous les cancers ni toutes les thérapies ciblées ; elle n’envisage que cinq cancers certes parmi les plus fréquents ; Elle se focalise sur les essais ou la SSP constitue le premier critère de jugement et seulement celles ou ce critère montrait un gain significatif. Pour ces raisons elle constitue plus un sondage qu’une macroanalyse classique Mais ses limites sont aussi sa force dans la mesure où elle se concentre pour répondre à la question que se pose tout clinicien : une AMM décernée sur l’affirmation d’un gain de SSP constitue-t-elle la garantie d’un gain de survie gloale et d’une balance avantages/risques favorable ?
Nos résultats paraissent contredire de nombreux articles plus anciens mais cette contradiction n’est qu’apparente parce notre étude, porte sur des thérapies ciblées qui n’existaient pas lorsque ceux-ci ont été écrits
Ainsi pour le traitement des cancers du côlon, dans les macroanalyses de Buyse[viii] et celle de Louvet[ix] aucun essai ne porte sur une thérapie ciblée et dans celle de Tang[x], sur 39 essais, un seul en comporte une. Pour les cancers bronchopulmonaires l’étude de Jonhson[xi] analyse uniquement des essais de chimiothérapies cytotoxiques. Pour les cancers métastatiques du sein aucun critère de substitution n’a été unanimement reconnu à l’ère des chimiothérapies cytotoxiques
Nos conclusions rejoignent celles des macroanalyses plus récentes qui incluent des thérapies ciblées.
Dans le cancer métastatique du poumon les macro analyses de Petrelli[xii], de Yan[xiii], de Hu Ma[xiv] de Li[xv]. de Soria[xvi] et les recommandations de l’ European Lung Cancer Working Party[xvii] concluent que la corrélation gain de ssp /survie globale /utilité clinique est faible et que la survie globale reste la référence incontestée de l’utilité clinique.
Pour le cancer du sein métastatique traité par thérapie ciblée Quin[xviii] constate que l’augmentation de la SSP après traitement par avastin augure rarement d’un gain de survie globale, l’institut Cochrane[xix] fait la même constatation pour l’herceptine et Adunlin[xx]pour la plupart des autres thérapies ciblées mises sur le marché dans cette indication.
Dans le cancer métastatique du rein Heng [xxi] trouve une corrélation entre SSP et OS mais son étude porte sur relativement peu de malades et de trop nombreux biais invalident ses conclusions Dans le cancer du colon aucune validation récente de la SSP comme substitut de la survie globale dans les essais de thérapies ciblées n’a été retrouvée.
La validation de la spp comme critère substitutif de la survie globale réalisée à l’ère des chimiothérapie cytotoxiques n’est donc pas transposable aux thérapies ciblées.
Dans les 5 cancers étudiés l’utilisation de la SSP pour la délivrance de l’AMM n’a pas apporté de bénéfices cliniques indiscutables pour les malades, ni permis d’avancée thérapeutique réelles. La mise à disposition trop précoce de ces drogues s’est souvent soldée par une toxicité accrue (parfois léthale) sans augmentation de survie globale. Parfois même cette mise à disposition précipitée s’est révélée franchement délétère du fait d’indications inadaptées qui aurait pu être évitées si une plus longue période d’essai avait permis de préciser les indications optimales. Citons quelques exemples : panitumumab (Vectibix) dont l’addition à l’association bevacizumab oxaliplatine diminue la survie globale de 5 mois, gefitinib (iressa) dont l’addition à la chimiothérapie diminue la survie des malades EGFR non mutés de 19 mois dans l’essai NCT01017874, erlotinib (tarceva) dont l’utilisation comme traitement de maintenance diminue la survie médiane de 3 mois… Ces échecs rappellent les mises en garde prémonitoires de F Duffaud et P Therasse en 2000[xxii] « Peu de traitements démontrant une activité anti tumorale en phase Il se traduisent par un bénéfice clinique en phase III… Le taux de réponses tumorales ne doit pas être l’unique objectif des études de phase III prospectives, randomisées et comparatives. Ces dernières doivent être suffisamment larges et avoir comme objectif(s) principal(aux) la survie globale ». La sécurité sanitaire n’est pas davantage assurée par les étude post AMM ;
Roberta Joppi et ses collègues[xxiii] ont étudié le devenir de 6 drogues pour maladies orphelines dont les AMM ont été décernées en 2004 par l’EMA pour voir si l’insuffisance des études pivots étaient compensées par le suivi post hoc. Ils ont montré que dans la plupart des cas ces drogues n’apportaient aucune amélioration de service rendu par rapport aux thérapeutiques préexistantes (et dans certains cas faisaient moins bien) mais qu’aucune étude complémentaire n‘a été obtenue des firmes pharmaceutiques et que les décisions d’AMM n’ont pourtant pas été amendées. Ils ont également précisé que ces insuffisances de l’agence européenne ne se limitaient pas aux drogues pour maladies rares. La sécurité sanitaire des malades, compromises par l’utilisation de critères de substitution non pertinents n’est donc pas davantage protégée par la surveillance post AMM
Conclusions. Lors d’essais de thérapies ciblées en cancérologie un gain de survie sans progression ne préjuge ni d’un gain de survie globale ni d’une balance avantages/risques favorable. Privilégier ce critère pour décerner l’AMM aboutit à exposer les malades à des risques importants et le plus souvent sans bénéfice réel. Il ne devrait donc plus être acceptée couramment comme critère principal de délivrance d’AMM [xxiv].[xxv].
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