Médicaments inutiles, toxiques et hors de prix – Exemple 8 : Avastin* (Bevacizumab) dans le cancer du poumon
Médicaments inutiles, toxiques et hors de prix
Exemple 8 : Avastin* (Bevacizumab) dans le cancer du poumon
Par Dr Gérard Delepine, chirurgien oncologue et statisticien
Au milieu des années 2000, l’arrivée sur le marché de molécules visant à empêcher les tumeurs d’être nourries à travers leurs petits vaisseaux, appelées les anti-angiogenèses a entrainé beaucoup d’espoirs. L’avastin* en est l’exemple type avec son activité prouvée de ralentir un temps la croissance tumorale, mais aussi son incapacité à augmenter la survie globale des malades et sa trop grande toxicité.
Avastin* pour les cancers avancés, récidivants ou métastatiques.
L’avastin* a d’abord été proposé comme traitement de première ligne en association avec la chimiothérapie. Il a bénéficié d’une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) pour les cancers du poumon avancés par la FDA le 11 10 2006 sur la foi de l’étude pivot ECOG 4599 .
Cette étude Pivot affirmait (sur 876 patients suivis pendant une durée médiane de 19 mois) que son administration améliorait de 2 mois la survie globale (12 vs 10 mois) des malades et de 20% le taux de réponse de la tumeur (35% vs 15%) par rapport au traitement par chimiothérapie seule[1]. Mais la réalité d’une amélioration de la survie globale par avastin* n’a pas été confirmée.
Une étude jamais confirmée par les essais ultérieurs internationaux.
Ainsi dans l’essai européen Avail (portant sur 1043 malades) l’ajout d’avastin* à la chimiothérapie par gemcitabine-placitaxel augmente le taux de réponse de 14% et la durée de survie sans progression tumorale (= stabilisation tumorale) de 18 jours, mais n’augmente pas significativement la survie [2]. De même dans l’essai japonais JO19907 publié par Nishio[3].
La macroanalyse de Botrel[4] résumant 4 essais randomisés (portant sur 2500 malades ) évaluant l’ajout d’avastin* à la chimiothérapie conclut « l’utilité de l’avastin pour augmenter la survie globale demeure très incertaine du fait de la qualité médiocre des essais dont on dispose, alors que sa toxicité est certaine ».
Avastin* en rattrapage : échec .
Devant l’échec de l’avastin* en première ligne, il a été proposé comme traitement de rattrapage après échec d’autres traitements, ou comme traitement de maintenance en complément d’une chimiothérapie efficace.
La maintenance par avastin* prolonge la stabilisation tumorale, mais se révèle incapable d’allonger la survie, que ce soit dans l’essai AVAPERL[5], Point break [6]ou de l’essai BeTa[7]. C’est ce que constate Roviello[8] dans sa macroanalyse de 2016 «la maintenance par thérapie ciblée n’améliore pas la survie globale ».
Avastin* comme traitement complémentaire d’une tumeur opérable : inutile.
L’avastin est également inutile pour les malades souffrant de tumeurs localisées opérables. Les résultats de l’essai EI505[9] montrent que l’ajout de Bévacizumab à la chimiothérapie classique après ablation chirurgicale complète de la tumeur n’améliore pas la durée de survie des patients, comme l’illustrent les courbes présentées au 16ème congrès mondial du cancer du poumon.
Cette incapacité globale de l’avastin* à améliorer la survie globale est confirmée par plusieurs grandes études appelées « méta-analyses »[10]. Citons celle de Villaruz en 2015 [11] et celle de Raphael[12] en 2017 qui confirment elles aussi que les anti-angiogenèses entraînent des réponses (courtes), et augmentent la survie sans progression (= stabilisation tumorale) (de quelques semaines) par rapport à l’absence de traitement (comparaison au bras placebo), mais n’apportent aucun bénéfice en termes de survie globale.
Cet échec rappelle les mises en garde prémonitoires de F Duffaud et P Therasse en 2000[13]. « Peu de traitements démontrant une activité anti tumorale en phase Il se traduisent par un bénéfice clinique en phase III… Le taux de réponses tumorales ne doit pas être l’unique objectif des études de phase III prospectives, randomisées et comparatives. Ces dernières doivent être suffisamment larges et avoir comme objectif(s) principal(aux) la survie globale ».
Avastin* : pas d’effet sur la durée de vie des patients mais complications graves.
L’examen de la balance avantages/risques doit également considérer les complications de l’avastin* : hypertension artérielle (6%), fatigue (asthénie), diarrhée et douleurs abdominales, protéinurie (3%). Les complications les plus graves sont des perforations gastro-intestinales (trous dans les intestins), des hémorragies (4%) et des thrombo-embolies artérielles (8%) responsables de décès chez 3% des malades traités.
Des bénéfices cliniques non démontrés et la toxicité importante de l’avastin* motivent le dernier avis[14] de la Haute Autorité de Santé : « AVASTIN n’apporte pas d’amélioration du service médical rendu** (ASMR V), dans la prise en charge de1ère ligne du cancer bronchique non à petites cellules, non épidermoïde ». Il devrait être interdit, ou du moins non remboursé.
Curieusement en France, l’utilisation se poursuit dans cette indication encore en 2017 et a coûté 450 millions d’€ en 2015 à la sécurité sociale.
Progrès et innovation : une confusion au bénéfice de Big pharma et affidés.
Le mythe de l’innovation toujours synonyme de progrès a fait long feu ; la mise à disposition trop précoce de drogues nouvelles n’apporte souvent aucun bénéfice réel pour les malades et les exposent à des toxicités injustifiées[15], tout en ruinant nos systèmes de santé.
La défaillance des agences de régulation FDA et EMA qui ont autorisé la mise sur le marché d’un médicament globalement inutile et toxique est dramatique. Il est grand temps qu’elles reviennent à la mission pour laquelle elles ont été créées : la protection sanitaire des populations et qu’elles arrêtent de soutenir de principe l’industrie sous prétexte « d’innovation ». Un médicament ne doit être mis sur le marché que s’il est utile aux malades (cliniquement efficace) et peu dangereux.
La responsabilité de nos décideurs politiques doit être également soulignée. Depuis plus de dix ans, ils ruinent la sécurité sociale par une politique aberrante (ou complice ?) de prix. Le coût d’un traitement par atteint près de 40000 euros par an et par patient alors qu’il a rapporté plus de cinquante milliards de dollars depuis sa commercialisation. Incompétence ? Manque de courage politique ? Corruption ? Quelle qu’en soit la raison cette politique du « tout pour big pharma », si on la poursuit, elle entrainera à terme la disparition de la sécurité sociale.
[1] Alan Sandler Paclitaxel–Carboplatin Alone or with Bevacizumab for Non–Small-Cell Lung Cancer N Engl J Med 2006; 355:2542-2550
[2] M. Reck Overall survival with cisplatin–gemcitabine and bevacizumab or placebo as first-line therapy for nonsquamous non-small-cell lung cancer: results from a randomised phase III trial (AVAiL) Annals of Oncology 21: 1804–1809, 2010
[3] Nishio M et al. Randomized phase II study of first-line carboplatin-paclitaxel with or without bevacizumab in Japanese patients with advanced non-squamous non-small-cell lung cancer Lung Cancer 76 (2012) 362– 367
[4] Botrel TE,. Efficacy of bevacizumab (Bev) plus chemotherapy(CT) compared to CT alone in previously untreated locally advanced or metastatic non-small cell lung cancer(NSCLC): systematic review and meta-analysis. Lung Cancer 2011; 74(1): 89-97
[5] F. Barlesi et al Maintenance bevacizumab–pemetrexed after first-line cisplatin–pemetrexed–bevacizumab for advanced nonsquamous nonsmall-cell lung cancer: updated survival analysis of the AVAPERL (MO22089) randomized phase III trial Annals of Oncology 25: 1044–1052, 2014
[6] Patel J, Socinski MA, Garon EB et al. A Randomized, Open-label, Phase 3, Superiority Study of Pemetrexed(Pem) +Carboplatin (Cb) +Bevacizumab (B) followed by maintenance Pem+B versus Paclitaxel (Pac) +Cb+B followed by Maintenance B in patients with stage IIIB or IV Non-squamous Non-small Cell Lung Cancer. 2012 Chicago Multidisciplinary Symposium in Thoracic Oncology
[7] Herbst RS, Ansari R, Bustin F, et al. Efficacy of bevacizumab plus erlotinib versus erlotinib alone in advanced non-small-cell lung cancer after failure of standard first-line chemotherapy (BeTa): a double-blind,placebo-controlled, phase 3 trial. Lancet 2011; 377: 1846–1854
[8] Roviello G No Advantage in Survival With Targeted Therapies as Maintenance in Patients With Limited and Extensive-Stage Small Cell Lung Cancer: A Literature-Based Meta-Analysis of Randomized Trials Clin Lung Cancer. 2016 Sep;17(5):334-340.
[9] Wakeneeh abstract PLEN03 03 World congress for lung cancer 2015 Denver 6 -9 sept 2015
[10] Les « méta analyses rassemblent les cas publiés dans de nombreuses études et tentent d’en faire la synthèse.
[11] Liza C. Villaruz The Role of Anti-angiogenesis in Non-small-cell Lung Cancer: an Update Curr Oncol Rep. 2015 June ; 17(6): 26
[12] Raphael J Antiangiogenic Therapy in Advanced Non-small-cell Lung Cancer: A Meta-analysis of Phase III Randomized Trials. Clin Lung Cancer. 2017 Jan 12. pii: S1525-7304(17)30004-9
[13] F Duffaud, P,Therasse : »nouvelles recommandations pour l’évaluation de la réponse tumorale dans les tumeurs solides » Bull du cancer 2000;87 (12): 881-6
[14] avis de mai 2016
[15]R R. Shah et al A fresh perspective on comparing the FDA and the CHMP/EMA: approval of
antineoplastic tyrosine kinase inhibitors Br J Clin Pharmacol / 76:3 / 396–411 2013