EUTHANASIE, loi d’aide à mourir et au suicide assisté, et économies de santé
La loi sur l’euthanasie (dite aide à mourir) vise-t-elle en fait à réduire les déficits publics ?
Par le DR G Delépine
Le vote en première lecture de la loi autorisant l’euthanasie présentée partout comme voulant assurer une fin de vie digne ne constitue-telle pas avant tout un moyen de réduire le déficit de la sécurité sociale et d’améliorer la rentabilité des mutuelles aux dépends de ceux qui sont les plus fragiles et dépendants ?
Les données établies dont on dispose permettent fortement de le craindre.
Le coût important des malades en fin de vie.
Aux USA, les 5% des assurés de Medicare (assurance publique pour les plus de 65 ans) qui décèdent dans l’année représentent entre 25% et 30% des dépenses totales de l’assureur[1].
La même constatation a été faite en Suisse[2] et au Canada.
En France, les dépenses publiques de santé liées à la dernière année de vie atteignent environ 31 000 € par personne, soit un total de 20 Mrds € par an, représentant 10% de la dépense publique de consommation de soins et biens médicaux [3].
Les niveaux de dépenses augmentent en effet dans la dernière année de la vie avec une brusque inflexion lors du dernier mois comme l’illustre le graphique ci-dessous de 2016 :
La tentation de réduire les dépenses de santé en facilitant la mort des malades quelques mois avant l’échéance naturelle est donc forte pour tous ceux qui veulent réduire le déficit de la sécurité sociale et améliorer le budget des mutuelles.
Au Canada, les économies considérables réalisées grâce à l’aide à mourir (euthanasie)
Le Canada est un des premiers pays à avoir largement développé l’euthanasie.
En juin 2016, le parlement du Canada a adopté une loi fédérale qui permettait aux adultes canadiens admissibles de demander l’aide médicale à mourir (euthanasie).
Le 5 octobre 2020, le ministre de la Justice et procureur général du Canada a proposé une loi modifiant le Code criminel sur l’aide médicale à mourir en réponse à la décision Truchon de la Cour supérieure du Québec de 2019[4] qui a déclaré inconstitutionnel 2 aspects de la loi initiale de 2016 : le critère d’admissibilité de « prévisibilité raisonnable de la mort naturelle » et le critère de « fin de vie ». Ces amendements sont entrés en vigueur le 17 mars 2021. Plusieurs amendements ont depuis encore élargi les indications de l’euthanasie légale.
En 2020 un directeur Parlementaire du Budget, a tenté « d’estimer les répercussions sur les coûts des soins de santé » des 6465 décès assistés prévus en 2021 auxquels devraient s’ajouter 1164 décès liés à l’élargissement des conditions d’accès envisagé au suicide assisté.
Il conclue : « les budgets provinciaux de la santé devraient réaliser des économies de 149 millions de dollars » en 2021, si ces prévisions se réalisent principalement via la diminution des soins palliatifs. En effet, estime le rapport, « les coûts des soins pendant la dernière année de vie (spécialement le dernier mois) représentent entre 10 et 20 % du total des coûts en santé, alors que les personnes qui reçoivent ces soins ne forment qu’environ 1 % de la population ».
Ces dernières années le nombre d’euthanasies a fortement augmenté. Selon Santé Canada un peu plus de 15 000 euthanasies ont été réalisées dans le pays en 2023, soit presque trois plus qu’en 2019. Le Canada se félicite d’économiser chaque année 1,4 milliard de dollars canadiens en raison de l’euthanasie de personnes à charge.
« L’aide à mourir dans la dignité » est vraiment rentable pour les finances publiques et les mutuelles privées. Autoriser l’euthanasie fait peut-être partie des nombreuses mesures visant à combler le besoin de financement de 40 milliards d’euros exprimé par le premier ministre.
Mais en France si une étude de ce type a été réalisée, nous n’en avons aucun écho dans les médias.
Les mutuelles au premier rang des lobbyistes pour l’euthanasie
Cherchez à qui profite le crime…
En France, la MGEN a été la première à faire du lobbying pour l’euthanasie auprès des députés depuis des années. En avril 25, la MGEN a envoyé par mail des propositions clé en main aux députés pour assouplir le texte sur l’euthanasie et le suicide assisté, visant à supprimer tous les garde-fous que le projet de texte prévoyait comme la nécessité de « phase avancée ou terminale » de la maladie pour avoir recours au suicide assisté.
Le groupe Vyv, la Fédération des mutuelles de France, l’Union mutualiste retraite (UMR), Mutuale, la Mutuelle Familiale se sont récemment associées à ces efforts de convaincre les députés de l’intérêt d’une loi sur « l’aide à mourir ».
Aux États-Unis : depuis l’adoption de l’Affordable Care Act (ACA) en 2010, les grandes compagnies d’assurance santé ont réalisé des milliards de bénéfices dont elles ont fait profiter leurs actionnaires et leurs dirigeants.
Le groupe UnitedHealth, dont le président Andrew Witty a touché 23 millions de dollars en 2023, a déployé des efforts considérables pour refuser les soins aux personnes âgées en recourant entre autres à l’intelligence artificielle[5] pour décrédibiliser les justifications de demandes de soins des médecins et en versant secrètement des milliers de dollars de bonus aux maisons de retraite pour les inciter à réduire les transferts hospitaliers des résidents malades.
La frustration des malades et de leurs familles est telle qu’elle a motivé l’assassinat de son PDG Brian Thompson en décembre 2024 ainsi que l’a affirmé son auteur Luigi Mangione. Il a décrit le Système de santé aux États-Unis comme « une structure corrompue » qui a obtenu des avantages au détriment de la souffrance des gens » Il mentionne « divers cas de personnes qui sont décédé du manque d’accès aux traitements médicaux. Il exprime aussi « sa haine envers les compagnies d’assurance de refuser l’aide à ceux qui ne peuvent payer ».
En France, plutôt que de permettre rapidement à ceux qui en ont besoin d’accéder aux soins palliatifs, nos élus préfèrent les pousser au suicide assisté, tout en promettant d’augmenter les moyens en soins palliatifs.
L’attitude scandaleuse de ces mutuelles offusque le PR Philippe Juvin dans «Points de Vue» : Plutôt que de faire du militantisme avec mon argent, je dis aux mutuelles : remboursez déjà correctement les gens. Et allez-vous moins dépenser avec cette loi ? Oui, très clairement, alors restez au moins silencieuses».
Et de s’inquiéter du manque d’éthique de certains intervenants « La fin de vie est coûteuse et il est vrai que… des business vont se mettre en place. J’ai par exemple souhaité que, dans les hôpitaux à but lucratif, on ne pourrait pas réaliser l’euthanasie. Ils ont refusé« .
Une loi qui discrimine les pauvres en les incitant au suicide
En France, la sécu prend en charge 90% des dépenses de fin de vie, les 10% restants pèsent lourdement sur les pauvres de notre pays. Un coût qui peut pousser au suicide assisté les personnes les plus précaires qui refusent de représenter un poids financier pour leur entourage. Qui a envie de laisser une dette à sa famille pour financer ses derniers jours ?
« Le droit à une fin de vie libre et choisie » engendrera à terme pour les plus faibles une nouvelle peur, celle d’être euthanasié, et une nouvelle honte, celle de s’attarder.
Une étude canadienne de 2019 a révélé ainsi que 58% des demandes d’euthanasie proviennent de personnes à faible revenu. Les personnes n’ayant pas les moyens de se payer des soins ou une assistance médicale choisissent l’aide à mourir pour ne pas laisser de dettes à leur famille.
Mais les très riches devraient aussi s’inquiéter des dérives possibles de cette loi. Les journaux nous révèlent lors de gros héritages les appétits parfois incontrôlés des héritiers qui veulent éviter que leur parent dilapide ce qu’ils considèrent déjà comme leur appartenant. Jusqu’ici ils se contentaient de demander la mise sous tutelle de leur aïeul diminué ; demain avec cette loi facilitant « le suicide assisté » s’ils sont désignés personne de confiance, ils pourraient être tentés de précipiter l’héritage…
L’expérience d’un chirurgien cancérologue
Chirurgien cancérologue pendant plus de 35 ans, j’ai malheureusement trop souvent été confronté aux difficultés de la fin de vie de certains patients.
Lorsque la situation médicale paraît irréversible, les douleurs et la peur de la mort submergent souvent les malades et peuvent leur faire envisager le suicide.
Mais lorsqu’ils se sentent accompagnés et compris et que les médicaments soulagent leurs douleurs, la résignation s’estompe dans plus de 99% des cas.
Dans son rêve éperdu de toute puissance éternelle c’est moins la mort qui inquiète les bobos autocentrés que de tomber dans une « dépendance » qui l’humilierait à ses propres yeux. Le dégoût éprouvé à l’égard des corps déchus qu’il juge indignes, et auxquels il ne veut en aucun cas ressembler stimule les revendications permanentes du « choix de sa fin de vie ». L’euthanasie et le suicide assisté sont exceptionnellement une revendication de malades.
Ce sont avant tout les personnes en bonne santé, effrayées par le risque de déchéance qui veulent le conjurer par l’euthanasie. Le suicide est pourtant depuis longtemps autorisé en France et les techniques en sont largement disponibles dans des livres et sur internet. Est-ce leur ignorance ou leur fainéantise qui les pousse à réclamer une loi qui transformerait les médecins en bourreaux potentiels rompant ainsi définitivement la confiance indispensable entre malades et leur médecin.
Durant un exercice de plus de trois décennies en cancérologie et plus d’un millier de patients je n’ai rencontré que deux malades qui ont persisté dans leur volonté d’euthanasie. Avec le PR Léon Schwarzenberg,[6] nous avons accédé à leurs demandes en augmentant sans compter leurs doses de morphine car leurs décisions étaient mûrement discutées, réfléchies et motivées. En le faisant nous avons respecté notre serment d’Hippocrate qui stipule que « le rôle du médecin est de sauver la vie par tous les moyens, mais lorsqu’il ne le peut plus il doit aider son malade à ne plus souffrir ». A cette époque, par cet acte nous étions passibles des tribunaux, mais Léon Schwarzenberg qui se méfiait d’une loi qui pourrait banaliser l’euthanasie et autoriser bien des dérives militait pour que les médecins restent responsables de leurs actes en toutes circonstances.
La loi Léonetti a légalisé notre attitude d’alors en remettant le curseur de la décision du côté des patients, du moins au stade terminal d’une maladie incurable. Mais en pratique, la décision reste chez le médecin, car c’est à lui qu’il revient d’agir si le patient le lui demande. Mais s’il refuse, le patient peut à tout moment changer de médecin.
En conclusion
Chaque être humain a besoin de savoir que la société n’exclut personne comme les médias nous le rappellent en permanence pour les minorités visibles. Alors pourquoi exclure plus de la moitié des plus souffrants, des « sans dents » des services de soins palliatifs faute d’argent ? Le film « Intouchable » témoigne qu’il aurait été inhumain de prendre la désespérance du tétraplégique au mot.
Il est profondément inhumain et indécent de nier la valeur la vie d’un handicapé ou d’une personne dépendante, ou des derniers mois de la vie. L’injonction sociale de rester jeune, beau, fort, présentable, bien portant (et riche ?) engendre un scandaleux mépris pour la faiblesse et la dépendance, et pousse trop de personnes à vouloir précipiter la fin des plus faibles.
L’interdit de tuer constitue la condition première de la solidarité authentique. Il nous protège de l’arbitraire. Il laisse toute sa place au soin. Il manifeste aux plus vulnérables que leur vie a du prix, jusqu’à son terme. Ce n’est qu’en garantissant une place de choix et des soins appropriés aux plus fragiles et souffrants de ses membres que la société reste civilisée.
Le professeur d’éthique médicale Emmanuel Hirsch rappelle à juste titre : « notre vigilance collective devrait concerner les personnes que nous abandonnons en fin de vie et qui parfois revendiquent le droit à la mort faute d’être reconnues dans la plénitude de leur droit à la vie ».
Les hommes ne méritent-ils pas au moins autant de compassion que les bébés baleine ou les phoques ?
Mais Charles Sannat constate « Quand l’État ne peut plus vous soigner, il vous propose de mourir. »
Bienvenue dans l’économie moderne : 150 milliards pour les intérêts de la dette, plus rien pour renforcer les soins palliatifs. L’euthanasie est un choix… budgétaire. Ce n’est pas une politique de santé. [7]
bibliographie
[1] , en valeur actualisée pour 2025 https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC2838161/
[2] Felder S, Meier M, Schmitt H. Health care expenditure in the last months of life. J Health Econ. 2000 Sep;19(5):679-95. doi: 10.1016/s0167-6296(00)00039-4. PMID: 11184799.
[3] IGAS, RAPPORT N°2016-064R https://www.igas.gouv.fr/sites/igas/files/files-spip/pdf/2016-064R_.pdf
[4] https://www.ahbl.ca/truchon-v-procureur-general-du-canada-superior-court-of-quebec-finds-limiting-access-to-medical-assistance-in-dying-maid-to-end-of-life-unconstitutional/
[5] https://neuron.expert/news/murdered-insurance-ceo-had-deployed-an-ai-to-automatically-deny-benefits-for-sick-people/9708/fr/
[6] Service du PR Georges Mathé hôpital Villejuif Paul Brousse Val de marne
[7] pic.x.com/Ch1ag8iTAb