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Pour éradiquer le choléra, Mayotte n’a pas besoin de vaccin, mais d’eau potable !

13/05/2024 (2024-05-11)

[Illustration : AFP

« La crise de l’eau à Mayotte ne cesse de s’amplifier. L’eau courante va bientôt être accessible uniquement un jour sur trois, ce qui accélère les risques de choléra et de typhoïde, alors que l’archipel est déjà gangrené par la pauvreté. »

1er septembre 2023 (source)

]

Par Dr Gérard Delépine

Le ministre chargé de la Santé, Frédéric Valletoux s’est rendu à Mayotte pour rassurer les habitants :

« On a une poussée du choléra qui est contenue. Il n’y a pas d’explosion… ».

Il s’est félicité de l’action de ses services qualifiée de « rapide, coordonnée et proportionnée1 » qui d’après lui a permis de garder la « situation sous contrôle » en prétendant « qu’à Mayotte, la réponse est adéquate » et a ajouté :

« La stratégie vaccinale pour le choléra n’est pas de vacciner tous azimuts et à l’aveugle », mais de « pallier », avec une vaccination de l’entourage des personnes touchées et des gens ayant été en contact avec celles-ci dans les dernières 48 heures, « Des stocks, on en a. Il y a aujourd’hui à peu près 7 000 vaccins sur l’île. 6 000 vaccins arrivent la semaine prochaine. On a encore des doses possibles et dans des volumes plus importants pour le début de l’été ».

D’après Nexus mai-juin 2024

Mais curieusement le ministre de la Santé n’a pas rappelé dans son discours que l’arme absolue contre le choléra est l’eau potable ! Fournissons enfin à tous les habitants l’eau potable, apprenons-leur à ne consommer qu’elle, assurons le traitement des eaux usées et l’épidémie s’arrêtera immédiatement.

On peut comprendre qu’un ministre non-médecin l’ignore, mais c’est plus étonnant d’un historien qui aurait pu tirer les leçons des épidémies européennes du 19e siècle comme celle de 1854 à Londres qui a permis d’identifier le rôle propagateur de l’eau et celle de Paris ou elle a causé la mort du général Lamarque dont les funérailles ont abouti au soulèvement populaire décrit par V. Hugo dans les Misérables.

Il est réellement stupéfiant que ses conseillers ne l’aient pas suffisamment instruit du choléra avant son premier discours et en particulier lui demander de promettre d’assurer enfin l’eau potable le plus rapidement possible pour tous les habitants.

Mais il a depuis heureusement corrigé son message dans un tweet récent dont on doit le féliciter :

Frédéric Valletoux
@fredvalletoux

« La meilleure prévention individuelle contre le choléra reste le respect des règles d’hygiène strictes pour éviter la transmission. Cela passe par des gestes simples, en consommant de l’eau potable et en se valant les mains fréquemment avec du savon. »

Rappels sur le choléra2

Le choléra est une toxiinfection digestive due au bacille vibrion cholérique dont la séquence complète du génome a été publiée en 2000 par Heidelberg3. C’est une maladie de la pauvreté qui touche les personnes n’ayant pas un accès suffisant à l’eau potable et aux services d’assainissement de base4. Il se transmet uniquement par voie féco-orale (par l’ingestion d’eau et les légumes souillés). Un malade excrète la bactérie dans ses selles pendant habituellement une dizaine de jours, mais certains d’entre eux peuvent se transformer en porteur sain pendant des mois et constituer ainsi une menace pour la population si le traitement des eaux usées n’est pas efficace. Les principaux réservoirs de la bactérie sont l’homme et les milieux aquatiques propices à la prolifération d’algues comme l’eau saumâtre et les estuaires.

Après une courte incubation silencieuse (deux heures à quelques jours), l’entrée dans la maladie se caractérise par des diarrhées aqueuses brutales, incolores prenant un aspect « eau de riz » d’odeur fade, sans fièvre.

Dans les formes les plus graves qui touchent particulièrement les enfants, les diarrhées, très abondantes et fréquentes (50 à 100 par jour) peuvent entraîner la mort en quelques heures par déshydratation sévère, insuffisance rénale, hypokaliémie, œdème pulmonaire et collapsus cardio-vasculaire.

La confirmation biologique du diagnostic (outre l’évidence clinique dans le cadre d’une épidémie) repose sur la culture de germes à partir des selles. L’examen au laboratoire met en évidence un vibrion du groupe antigénique O1 ou O139 dont la toxine (identifiée comme la choléragène, qui inverse le flux hydrosodé au niveau de l’épithélium de l’intestin grêle par activation d’un enzyme, l’adénylcyclase) entraîne la majorité des symptômes. Il existe aussi des tests rapides basés sur des techniques immunologiques5 permettant de confirmer le diagnostic en 15 minutes.

La réhydratation est la base du traitement du choléra, mais le traitement précoce par un antibiotique oral efficace éradique les vibrions, réduit le volume des selles de 50 %, limite le risque de complications pour le patient et fait cesser la diarrhée dans les 48 heures, ainsi que l’excrétion du vibrion cholérique diminuant ainsi le risque de contamination des eaux et de transmission du choléra à d’autres individus.

Le choix de l’antibiotique repose sur la sensibilité des V. cholerae isolés dans la population. La doxycycline est recommandée en traitement de première intention chez l’adulte6. En cas de résistance à la doxycycline,7 l’azithromycine et la ciprofloxacine constituent des solutions de sauvetage. Chez les malades qui guérissent, le vibrion disparaît des selles spontanément en 7 à 14 jours. La guérison de la maladie confère une immunité partielle de plusieurs années, contre le sérotype impliqué.8

C’est la contagiosité considérable de la maladie et son extrême rapidité d’évolution qui est à l’origine de la peur qu’elle a toujours inspirée.

Dans les pays où l’eau potable est partout disponible, il n’y a pas d’épidémie

L’exemple de la France métropolitaine le démontre puisque les 2 à 3 cas annuels observés, venus de pays lointains, ne sont jamais à l’origine d’épidémie (aucune contamination secondaire connue).

Malheureusement Mayotte manque d’eau potable ce qui permet aux germes apportés par les Comoriens de se propager.

À l’opposé, dans les pays où l’eau potable n’est pas assurée, le vaccin anti-choléra n’empêche pas la prolongation des épidémies comme l’illustrent l’Éthiopie, le Zimbabwe et le Yémen… Dans ces pays l’absence d’entretien et la destruction des réseaux de distribution lors des combats obligent les populations à boire l’eau des rivières ou des puits, dont le taux de contamination est très élevé.

L’eau potable permet aussi d’empêcher la transmission de nombreuses maladies bactériennes telles que la typhoïde, les gastroentérites à entérobactéries (Campylobacter. E. coli), les shigelloses), mais aussi des Infections virales (l’hépatite A et E, la poliomyélite, les rotavirus responsables de diarrhées, les entérovirus) et de certaines infections parasitaires intestinales (amibiases, giardase, dracunculose…). L’eau potable constitue donc un enjeu totalement prioritaire de santé publique.

Les vaccin anti-choléra sont peu efficaces

L’exemple d’un vaccin efficace est celui du vaccin contre la fièvre jaune : une injection unique protège tous les vaccinés à vie. Mais de très nombreux vaccins sont peu efficaces et ne protègent qu’une fraction des vaccinés durant une courte période obligeant à des rappels répétés.

Les premiers vaccins contre le choléra ont été distribués aux troupes alliées en 1915-1918 lors de la guerre des tranchées où ils ont contribué à la victoire contre les Allemands qui n’en possédaient pas et dont 200 000 à 300 000 soldats ont été mis hors de combat par le vibrion.

Depuis plusieurs vaccins ont été développés notamment le Dukoral, le Shanchol/mORCVAX et plus récemment l’Euvichol-S produits en Corée du Sud par EuBiologicals Co. Ltd.

Tous les vaccins actuels sont réalisés à partir de bactéries inactivées et administrés par voie orale, mais ils sont peu efficaces et seulement durant une courte période. De plus, des variations génétiques de la bactérie peuvent lui permettre permettent de résister aux vaccins. Elle ne dépasse pas 66 % à 80 % et diminue rapidement. En pays endémiques cette faible efficacité est attestée par la nécessité de rappels tous les six mois en dessous de 6 ans et tous les 2 ans au-delà. L’OMS considère l’utilisation des vaccins anticholériques oraux comme outils de santé publique « potentiellement utiles en complément des mesures de prévention classiques ».

Au Yémen les centaines de milliers de doses de vaccins distribuées par l’OMS et la fondation Gates n’ont pas empêché pas l’épidémie de proliférer avec plus de 2,5 millions de cas et au moins 4 000 décès.

Dans son témoignage récent sur Nexus9 le pasteur camerounais Franklin Yebga dénonce le coût astronomique (155 millions de dollars) du programme de vaccination en Afrique organisé par l’OMS, les fondations Gate et la banque mondiale. Compte tenu du coût moyen d’un forage pour 10 000 à 15 000 personnes (5000 euros), cette somme aurait permis de créer 30 000 points d’approvisionnement d’eau potable et « aurait sans doute pu résoudre tous les problèmes d’eau en Afrique ».

Mais distribuer l’eau potable aux populations ne rapporte rien aux laboratoires pharmaceutiques et risquerait de tarir la source de profits considérables que procurent de nombreux vaccins qui deviendraient inutiles…

Choléra, hygiène et quarantaine

Avant l’arrivée des antibiotiques et des vaccins, de grandes maladies mortifères comme la peste, le typhus ou le choléra ont été contenues par l’hygiène et la quarantaine. La quarantaine a prouvé son efficacité contre la transmission de la peste. La quarantaine des suspects de typhus et leur regroupement dans des lieux où étaient assurés leur hygiène corporelle et le nettoyage de leurs vêtements ont permis de stopper la propagation de la maladie après la Première Guerre mondiale.

Les grandes pandémies de choléra du 19siècle ont été combattues par et la quarantaine des voyageurs venant des pays infestés. Mais là encore les leçons de l’histoire paraissent oubliées.

La mise en quarantaine des Comoriens récemment arrivés à Mayotte contribuerait sans doute à les abriter dans de meilleures conditions que dans leurs bidonvilles, à les soigner et à protéger la population de Mayotte. Pourquoi n’a — telle pas été envisagée ?

Pour éradiquer le choléra, ce n’est pas seulement de vaccin que la population de Mayotte a besoin, mais d’eau potable et de la quarantaine des immigrants récents suspects de porter la bactérie !


1 L’ARS a déployé un centre de dépistage des unités mobiles de vaccination dans la zone de Koungou.2 Delépine Choléra, Dieu ou l’Esprit invisible, hygiène, eau potable et eaux usées et… la guerre ! Agoravox, 4 septembre 2018.

3 JF Heidelberg et al. Séquence d’ADN des deux chromosomes de l’agent pathogène du choléra
Vibrio choléra. Nature (2000).

4 https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/cholera

5 JA Hasan et coll. Développement et test de kits de tests d’immunodiagnostic rapide basés sur des anticorps monoclonaux pour la détection directe de Vibrio cholerae O139 synonyme Bengal J Clin Microbiol 1995.

6 https://www.cdc.gov/cholera/treatment/antibiotic-treatment.html

7 RI Glass et coll. Émergence de Vibrio cholerae multirésistant aux antibiotiques au Bangladesh
J Infecter Dis 1980.

8 Renaud Piarroux, « Le choléra », La Revue du Praticien, vol. 67,‎ décembre 2017, p. 1117-1121.

9 Nexus, 152 mai juin 2024 page 24.