Le tarceva* (erlotinib) dans le cancer du poumon
L’histoire du tarceva et du cancer du poumon montre les insuffisances des agences de régulation du médicament et les conséquences de la politique menée par le ministère de la santé depuis plus de 15 ans qui favorise l’industrie aux dépens des malades.
Le tarceva* est un « anti-tyrosine kinase » qui inhibe les récepteurs épithéliaux du facteur de croissance HER1/EGFR et susceptible de ralentir ainsi la croissance des cancers en particulier broncho-pulmonaires.
Il a bénéficié d’une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) par la FDA en Novembre 2004[1] sur la foi de l’étude pivot BR21 affirmant sur 731 patients que son administration prolongeait la survie des malades de 2 mois[2] (6.7 mois contre 4.7 sans traitement).
En 2009 il recevait une extension d’AMM après publication de l’essai Saturn[3] proclamant qu’il prolongeait de 10 jours la durée de non progression de la maladie et de 1 mois la survie globale. Mais ces deux essais, s’ils affirmaient que tarceva était un peu efficace sur la maladie, ne prouvaient pas qu’il pouvait être utile aux malades.
Pour les patients, seul compte le bénéfice clinique réel. Un traitement utile n’obtient pas seulement une « réponse transitoire » définie sur l’imagerie médicale, mais guérit le malade ou au moins augmente considérablement la durée de sa survie globale en maintenant des conditions de vie confortables.
Or, à ce jour, l’examen critique de la littérature montre que le tarceva* ne parvient ni à guérir les malades ni à prolonger utilement leur survie.
De nombreux essais randomisés ont étudié l’effet Tarceva*, seul ou en association à une chimiothérapie en première ligne thérapeutique ou après échec de traitements ou en maintenance chez des malades sans sélection génétique. Aucun n’a pu mettre en évidence une utilité réelle du tarceva* pour ces malades
L’essai TALENT[4] comportait un traitement d’attaque de 6 cycles de la triple association gemcitabine-cisplatin- tarceva*, suivi d’un tirage au sort des 1172 malades entre une simple surveillance ou la poursuite du tarceva*. La durée médiane de survie des malades recevant le placebo est supérieure (44 semaines) à celle des malades traités par tarceva* (43 semaines).
Dans l’essai TRIBUTE[5] l’association d’erlotinib à la chimiothérapie n’augmente ni la durée de stabilisation tumorale (10.6 mois v 10.5), ni la survie globale (5.1 mois vs 4.9).
Une macro analyse des essais associant les thérapies ciblées à la chimiothérapie en première ligne[6] confirme que l’adjonction de tarceva ne prolonge pas la survie globale et aggrave la toxicité du traitement.
Dans l’essai RADIANT[7] portant sur 973 patients souffrant de tumeurs opérables le traitement par tarceva adjuvant (après traitement local) n’améliore ni la durée de rémission (50.5 mois vs 48.2) ni la survie globale.
L’essai TAILOR[8] a comparé l’erlotinib au docetaxel comme seconde ligne de traitement et démontré que le docetaxel est plus efficace que l’erlotinib (survie médiane 8.2 mois versus 5.4 mois).
L’essai japonais DELTA[9] confirme que tarceva donne des résultats inférieurs au docetaxel tant sur la médiane de stabilisation (1.3 mois contre 2.9 mois pour le docetaxel ) que pour la survie globale (9.0 mois contre 10.1)
Dans l’essai ATLAS[10] portant sur 1145 malades l’ajout de tarceva* à la maintenance par l’avastin* augmente la durée de stabilisation tumorale de 1 mois (3.7 mois vs 4.8) mais n’augmente pas significativement la survie globale (13.3 vs 14.4 mois)
J Rigas a présenté les résultats de l’essai « maintenance Tarceva*.Tous les malades ont été traités par chimiothérapie avec radiothérapie suivie de randomisation entre Tarceva* et placebo. L’essai fermé après inclusion de 253 patients a démontré que la médiane de survie des malades sans traitement est supérieure (26.9 mois) à celle des malades recevant du Tarceva* (23.6 mois)!
L’essai IUNO[11] sur 643 patients a montré qu’il n’y a aucun bénéfice à entreprendre une maintenance par tarceva après stabilisation par chimiothérapie. Les agences européenne et canadienne du médicament ont précisé qu’une telle maintenance était nocive[12] et ont restreint en conséquence son autorisation.
L’essai TOPICAL[13] a comparé l’effet du tarceva* à l’absence de traitement chez 670 malades qui ne pouvaient pas supporter une chimiothérapie. Le tarceva* n’améliore pas la durée moyenne de survie (3.7 mois vs 3.6) ni l’espérance de vie à un an (15% vs 14%).
Au total, à l’exception des études pivots dont les résultats étonnamment favorables n’ont été confirmés par aucun autre essai randomisé, le traitement par tarceva n’apporte aucun bénéfice de survie globale chez les patients dont l’expression du récepteur au facteur de croissance épidermique était négative ou indéterminée. Chez ces malades la balance bénéfice-risque est donc défavorable et contre -indique l’usage de ce médicament.
Patients dont les tumeurs présentent des mutations activant le gène EGFR
Dans l’étude pivot BR21, le sous-groupe de 49 patients présentant des mutations activant le du gène EGFR était particulièrement sensible au tarceva: ceux qui prenaient Tarceva (22 patients) ont vécu en moyenne 44,6 semaines sans aggravation de leur maladie, contre 13 semaines chez ceux qui prenaient le placebo (27 patients). Cette sensibilité particulière a justifié les nombreuses recommandations d’utiliser les TKI chez ces malades. Pourtant, avec le recul dont on dispose en 2017 , l’utilité réelle du tarceva mesurée par son action sur la survie globale reste très incertaine dans la quasi-totalité des essais publiés.
Dans l’essai Radiant précédemment cité7 , 161 patients souffraient de tumeurs porteuses de mutation EGFR ou Kras. L’analyse de ces sous-groupes de malades ne fait apparaître aucun bénéfice significatif de survie lié au tarceva.
Dans l’essai EURTAC[14] (sur 174 patients aux tumeurs porteuses de mutation EGFR), l’association d’erlotinib à la chimiothérapie prolonge la durée de non progression tumorale (9.7 mois vs 5.2), mais n’augmente pas la survie globale (43 semaines chez les patients qui reçoivent l’association erlotinib +chimiothérapie contre 44.1 chez ceux traités par chimiothérapie seule).
Dans l’essai OPTIMAL (CTONG0802)[15], comparant, en première ligne, le tarceva à la chimiothérapie par carboplatin plus gemcitabine chez 165 patients chinois porteurs de mutation EGFR , la SSP médiane est plus longue chez les patients traités par tarceva ( 13.1 mois vs 4.6) mais leur survie globale est moindre (22.6 mois vs 28.8 pour les malades traités par chimiothérapie)
Dans l’essai ENSURE[16], 217 patients porteurs de mutation EGFR ont été tirés au sort pour être traités par tarceva (110 ) ou par chimiothérapie (107). Là encore, la SSP médiane est plus longue chez les patients traités par tarceva ( 11 mois vs 5.5) mais la survie globale n’est pas significativement améliorée.
L’étude ML20650 a comparé TARCEVA à une chimiothérapie à base de sels de platine chez des patients atteints d’un cancer bronchique non à petites cellules localement avancé ou métastatique non préalablement-traités et dont la tumeur présente une mutation EGFR (délétion de l’exon 19 ou mutation de l’exon 21) sur 154 patients caucasiens. La médiane de survie sans progression atteint 9,4 mois dans le groupe TARCEVA contre 5,2 mois dans le groupe chimiothérapie mais là encore sans amélioration significative de la survie globale
Dans la littérature, , un seul article (FASTACT-2[17]) rapporte un bénéfice significatif de survie globale (31.4 mois vs 20.6) chez les patients dont l’expression du récepteur au facteur de croissance épidermique est positive . Même chez ces malades la balance bénéfice-risque est donc peu favorable contrairement à ce que de nombreux articles prétendent en brandissant comme « preuve » le gain éventuel de survie sans progression. Pour les cancers du poumon, comme pour les autres tumeurs solides une cible et une thérapie ciblée telle que le tarceva n’aboutissent pas souvent à un traitement utile d’autant que la « bonne tolérance » prétendue des thérapies ciblées est un mythe.
Les insuffisances des agences de régulation qui ont autorisé la mise sur le marché d’un médicament globalement inutile et toxique sur un critère subjectif (durée de stabilisation tumorale) sont criantes. Il est grand temps qu’elles se consacrent de nouveau à la mission pour laquelle elles ont été créées : la protection sanitaire des populations et qu’elles arrêtent de soutenir l’industrie (« l’innovation »). Un médicament ne doit être mis sur le marché que s’il est utile (cliniquement efficace) et peu dangereux.
La responsabilité de nos décideurs politiques est écrasante. Depuis plus de dix ans ils ruinent la sécurité sociale par une politique aberrante (ou complice ?) de prix. D’après la Cnam le coût d’un traitement par le Tarceva atteint 27 000 euros par an et par patient alors que son prix équitable est de 240 dollars[18] , comme l’Inde le démontre. Incompétence ? Manque de courage politique ? Corruption ? Quelle qu’en soit la raison cette politique du « tout pour big pharma », si on la poursuit entrainera à terme la disparition de la sécurité sociale.
[1] pour le traitement de seconde ligne des cancers avancés après échec de chimiothérapie
[2] F A. Shepherd Erlotinib in Previously Treated Non–Small-Cell Lung Cancer N Engl J Med 2005;353:123-32.
[3] Garassino MC et al. Erlotinib versus docetaxel as second-line treatment of patients with advanced non-small-cell lung cancer and wild-type EGFR tumours (TAILOR): a randomised controlled trial. Lancet Oncol. 2013;14(10):981–988
[4] U Gatzemeier et al Phase III Study of Erlotinib in Combination With Cisplatin and Gemcitabine in Advanced Non–Small-Cell Lung Cancer: The Tarceva Lung Cancer Investigation Trial Clin Oncol 25:1545-1552. © 2007
[5]R S. Herbst TRIBUTE: A Phase III Trial of Erlotinib Hydrochloride (OSI-774) Combined With Carboplatin and Paclitaxel Chemotherapy in Advanced Non–Small-Cell Lung Cancer J Clin Oncol 23:5892-5899. © 2005,
[6]OuYang P et al. Combination of EGFR-TKIs and chemotherapy as first-line therapy for advanced NSCLC: a meta-analysis. LoS One. 2013 Nov 13;8(11)
[7] K Kelly Adjuvant Erlotinib Versus Placebo in Patients With Stage IB-IIIA Non–Small-Cell Lung Cancer (RADIANT): A Randomized, Double-Blind, Phase III Trial J Clin Oncol 33:4007-4014. © 2015
[8].Garassino MC Erlotinib versus docetaxel as second-line treatment of patients with advanced non-small-cell lung cancer and wild-type EGFR tumours: a randomised controlled trial. Lancet Oncol. 2013 Sep;14(10):981-8.
[9] Tomoya Kawaguchi Randomized Phase III Trial of Erlotinib Versus Docetaxel As Second- or Third-Line Therapy in Patients With Advanced Non–Small-Cell Lung Cancer: Docetaxel and Erlotinib Lung Cancer Trial (DELTA) J Clin Oncol 32:1902-1908. © 2014
[10] B. E. Johnson, ATLAS: Randomized, Double-Blind, Placebo-Controlled, Phase IIIB Trial Comparing Bevacizumab Therapy With or Without Erlotinib, After Completion of Chemotherapy, With Bevacizumab for First-Line Treatment of AdvancedNon–Small-Cell Lung Cancer J Clin Oncol 31:3926-3934. © 2013
[11] Saulius Cicènas Maintenance erlotinib versus erlotinib at disease progression in patients with advanced non-small-cell lung cancer who have not progressed following platinum-based chemotherapy (IUNO study) Lung Cancer 102 (2016) 30–37
[12] 17 December 2015 EMA/CHMP/816728/2015 Committee for Medicinal Products for Human Use (CHMP) Assessment report
[13] S M Lee First-line erlotinib in patients with advanced non-small-cell lung cancer unsuitable for chemotherapy (TOPICAL): a double-blind, placebo-controlled, phase 3 trial Lancet Oncol. 2012 Nov; 13(11): 1161–1170.
[14] R Rosell Erlotinib versus standard chemotherapy as first-line treatment for European patients with advanced EGFR mutation-positive non-small-cell lung cancer (EURTAC): a multicentre, open-label, randomised phase.. The Lancet Oncology 2012 13 3 239-246
[15] Zhou C, Overall survival results from OPTIMAL, a phase III trial of erlotinib versus carboplatin plus gemcitabine as first-line treatment for Chinese patients with EGFR mutation-positiveadvanced non-small cell lung cancer J Clin Oncol 2012; 30: Suppl., 48
[16]Wu YL et al. First-line erlotinib versus cisplatin/gemcitabine in patients with advanced EGFR mutation-positive non-small-cell lung cancer: interim analyses from ENSURE study. J Thoracic Oncol 2013; 8: Suppl. 2, S603.
[17] Y L Wu Intercalated combination of chemotherapy and erlotinib for patients with advanced stage non-small-cell lung cancer (FASTACT-2): a randomised, double-blind trial.Lancet oncology 2013 13 8 777-786
[18] Hill A, Gotham D, Fortunak J, et al. Target prices for mass production of tyrosine kinase inhibitors for global cancer treatment. BMJ Open 2016;6:e009586. doi:10.1136/bmjopen-2015-009586